Ce matin où j’ai annoncé 5 mois de congé à ma responsable. Article publié sur le Huffington post

Voyage en absurdie : Le jour où j’annonce à ma responsable que je prends cinq mois de congés paternité suite à la naissance de ma fille .

J’avais hâte d’être au travail mais j’étais stressé d’officialiser ce choix. Comme chaque matin cet hiver, c’est en luge que je déposais mon fils ainé  à la crèche. On jouait à regarder les voitures et donner leur marque. Fier, il les connaissait toutes: Volkswagen, Toyota, Audi… J’avais réussi à lui faire préférer Peugeot mais il avait vite changé pour TESLA, ces voitures électriques de luxe qu’on voit partout à Oslo et dont le succès reflète à merveille la société norvégienne : riche, moderne, soucieuse de l‘environnement.

La neige illuminait la ville et les flocons blanchissaient les barbes des pères norvégiens que je retrouvais quasiment chaque matin à la crèche. J’habite à Grunnerloka, un quartier hipster où il est très difficile de voir un père sans barbe, grandes lunettes, chemise à carreaux ou tatouage. Moi il me manque juste le tatouage. Le père de Niels, lui, il a tout alors que le père de Markus, j’ai l’impression qu’il s’est trompé de quartier : il est en costard, petite malette, cheveux court, bien rasé. J’ai envie de lui dire « tu passerais mieux dans le RER A direction La Défense ». Humour de parisien.

Le nombre de pères qui amènent et ramènent leurs enfants en crèche surprennent toujours les français. La nounou pour les sorties de crèche n’existe pas (d’ailleurs c’est pas ridicule nounou comme nom ?). Ici « on fait des enfants pour s’en occuper », c’est la dictature norvégienne du bonheur. Les mères adorent leurs enfants mais n’ont pas que ça à faire. Deux fois par semaine je quitte le travail à 16h pour chercher mon fils. Sinon je quitte à 17h.

Dans le vestiaire de la crèche on ne parle pas beaucoup entre pères. Mais de toute façon, aujourd’hui, j’étais stressé, je n’avais pas trop envie de parler, je voulais vite arriver au travail pour poser mon congé. J’étais un peu perdu dans mes pensées à l’idée d’annoncer « cinq mois ». C’est énorme quand même. Quelle image j’envoyais à mon entreprise ?

Je quitte la crèche pour prendre le bus 31 qui roule également à l’électrique, branche mes écouteurs dans les oreilles et une playlist chanson française aléatoire. Ça me permet de rester connecté à la France, c’est un truc d’expatrié. Je me mets soudainement à penser à ma femme, mes amies, mes sœurs et mes anciennes collègues qui en France ont annoncé leur congé maternité à leur responsable.

Je voyais défiler leur visage, me rappelait leur stress, leur impression de ralentissement de carrière, leur angoisse de rater une opportunité, leur culpabilité de laisser trop de travail à leurs collègues, leur frustration de devoir arrêter des projets intéressants, leur peur de voir le ou la remplaçante faire un meilleur travail ou même leur inquiétude de s’embêter à la maison. Rarement, un homme est exposé à ce processus. J’y étais.

Ma playlist arrive sur Michel Sardou : « Dans un voyage en absurdie, Que je fais lorsque je m’ennuie, J’ai imaginé sans complexe, Qu’un matin je changeais de sexe, Que je vivais l’étrange drame, D’être une femme. »

Et si c’était donc ca ? Ce matin là ? J’avais l’impression de ressembler à une femme enceinte qui annonçait à sa chef son congé maternité.

Pendant la période qui précédait l’annonce officielle, j’étais resté vague au travail sur mon intention de congé paternité par peur, justement, de rater des projets intéressants. Je me demande même si je n’ai pas menti en disant « je vais juste prendre 2, 3 mois » (oui cette phrase doit faire bizarre pour un français, mais c’est le seuil minimum obligatoire pour les pères ici) ou « c’est pas encore décidé avec ma femme combien je vais prendre, combien elle va prendre » (pour rappel, 10 mois de congé sont à partager entre les deux conjoints) ou bien même « c’est important pour moi l’égalité Homme Femme » comme si je devais me justifier d’un long congé.

Je suis rentré dans le bureau de ma manager.

« Voilà c’est officiel, je prends cinq mois de congé ». Enfin, je l’ai dit en Norvégien « Det er offisielt, jeg tar fem måneder pappapermisjon». C’est plus facile à dire en Norvégien parce que c’est plus courant comme phrase ici. Mais personnellement, il m’a fallu du courage pour faire ce genre de choix.

Ma chef m’a remercié pour l’information. Elle n’a presque rien dit. Pas de « je suis très contente pour toi », ni « c’est long quand même », juste un « tu vas nous manquer et on va essayer de te trouver un remplaçant ». J’ai bien aimé sa neutralité, car ce moment reste une relation professionnelle et ne doit pas être un jugement, qu’il soit positif ou négatif. Les managers norvégiens sont très professionnels.

Elle a alors écrit très distinctement, sur un bout de papier :

« du 17 mai au 11 octobre ».

Et j’ai pensé à Michel Sardou, revisité :

« Dans un voyage en Scandinavie, Qui me donne un autre regard sur la vie, j’ai imaginé sans complexe, que ce matin je gardais mon sexe, Que je vivais le fait, en somme, D’être un homme. »

Un homme moderne.

Un vrai.

32 commentaires sur “Ce matin où j’ai annoncé 5 mois de congé à ma responsable. Article publié sur le Huffington post

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  1. J’aime beaucoup ta plume : une fois que j’ai commencé à te lire, je suis obligé d’aller au bout de l’article. Et ton humour : une vraie bouffée d’oxygène. Félicitation pour ta petite fille, je trouve génial d’assumer ses choix comme tu le fais et d’en parler si librement. J’aimerais voir plus de papa penser comme toi et le père de ma fille ici. Vivement que les mentalités changent en France 🙂

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    1. Merci pour ton commentaire! C’est super gentil. Je vais continuer à partager mon expérience norvégienne. Bonne lecture et encore merci pour les encouragements.

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  2. C’est grâce à cet article que j’arrive sur ton blog (Relayé via le Huffpost)! Mon mari et moi même avons fait le choix de prendre 4 mois et demie de congé parental suite à la naissance de notre deuxième petit garçon il y a un mois. Nous vivons en Belgique et c’est clair que ça n’a pas été évident, ni pour lui ni pour moi d’ailleurs (je prends 1 mois de plus). Nous avons tout deux eu droit à des remarques du type « tout ça?! Et tu ne vas pas t’ennuyer ?! Tu ne reviendras pas je parie ! Je comprends pas pourquoi vous prenez ce temps en même temps et pas l’un après l’autre en mi temps pour que les enfants n’aiment jamais a la crèche »… sans compter l’impact financier (congé parental c’est juste toucher une allocation de 600€ / mois!!).
    J’ai hâte de suivre tes aventures en Norvège en tout cas 🙂

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