Le jour où j’ai pas vraiment dragué Louise.

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Pour vivre un congé paternité en Norvège, il m’a d’abord fallu rencontrer une norvégienne.

Et la draguer.

Enfin presque.

Les politiques égalitaristes en Norvège ont impacté les relations homme-femmes et ont cassé les codes de la galanterie traditionnelle : tenir la porte, laisser la banquette au restaurant, demander à la femme ce qu’elle souhaite en premier. Ici, c’est pas l’homme qui drague. En tous cas, pas plus que la femme.

Mais je l’ignorais, cette année Erasmus de 2006, à Vienne en Autriche. Louise et moi avions 21 ans, je sortais de ma licence d’économie à La Sorbonne et elle de sa licence d’histoire à Oslo. Dans cette résidence étudiante de Comeniusgasse, nous venions de toute l’Europe. Nous écrivions ensemble l’histoire de notre continent et des parenthèses de vie que certains refermaient la même année et que d’autres, comme moi, avaient encore ouvertes.

Erasmus, c’est le Tinder de l’Union Européenne. Version 1.0. Tu matches en direct et pas dans ta langue natale. Personne ne connait ton passé et il y a peu de chance qu’il te rattrape, alors c’est l’occasion de l’inventer ou du moins de l’enjoliver.

On parlait tous allemand, c’était la règle pour progresser. Tout le monde la respectait et  avait bien pris conscience que la seule exigence que la société avait sur nous était de rentrer germanophone. Ceux qui disent regretter de ne l’avoir jamais fait Erasmus ont raison. Pour beaucoup, c’était la meilleure année de notre vie.

Il y avait les italiennes, les finlandaises, les espagnoles, les françaises. Et il y avait Louise, la Norvégienne. Seule de son petit pays que personne ne connaissait vraiment. On avait pris un verre par hasard un soir et on s’était mis d’accord que ce serait bien de continuer avec un restaurant.

« Allo maman, ca va ? »

« Oui ça va très bien ! Tu m’appelles parce que t’as encore besoin d’argent ? ».

J’ai passé mon année Erasmus à appeler ma mère.

« Non. Enfin oui mais cette fois ci c’est parce-que j’aimerais inviter au restaurant quelqu’un. »

J’ai toujours dit que j’avais dragué une Norvégienne en allemand, ce qui devrait, pour un étudiant à La Sorbonne, me placer au panthéon de la drague même si ça ne c’est pas exactement passé comme ça.

Pour l’allemand c’est vrai. Et d’ailleurs pour en arriver là, il a fallu faire allemand première langue et je dois donc remercier ma mère de m’y avoir poussé. Ça et le latin. Ça et les virements de dernières minutes.

On avait choisi un restaurant sans prétention avec des Wienerschnitzel et l’Ottakringer, la bière locale. On pouvait finir avec un café viennois et des Sachertorte en dessert, ma mère allait sponsoriser.

Le diner s’était bien passé. Entre quelques blagues en allemand, j’avais enjolivé ma vie parisienne, mon amour pour les musées et pour le théâtre, ma connaissance des vins et de la littérature norvégienne. Je racontais avoir été champion de Paris au tennis de table, ce qui permettait de rebondir à l’année où Louise avait été défenseur latérale de son équipe de foot. Et puis elle m’avait raconté sa vie à Oslo et dans l’extrême nord, où quand elle jetait un verre d’eau dehors, c’était de la glace qui tombait. Surtout elle avait enjolivé la Norvège avec sa description de la nature et moi je m’y voyais déjà à pêcher le saumon dans les fjords. J’avais mordu à l’hameçon.

J’allais payer l’addition : « Rechnung Bitte ! »

Louise avait déjà insisté : « on fait moitié-moitié ».

« Non mais ça me fait plaisir de t’inviter. »

« Non mais je préfère qu’on sépare l’addition. »

Le froid norvégien s’installait tout d’un coup. J’ai d’abord pensé à ma mère et au coup de fil que j’aurais pu éviter. Et puis c’était mauvais signe. Le mec invite toujours pour le premier rendez-vous. Alors j’ai demandé « Je ne comprends pas pourquoi ça te vexe que je t’invite ? »

Non mais moi c’est dans ma culture de partager au premier rendez-vous. La galanterie fait rêver, c’est très charmant, mais au bout du compte c’est un sexisme bienveillant. Indirectement, la femme est infériorisée. Moi je suis indépendante. Tu dois trouver ca extrême comme facon de penser, mais c’est comme ca.

J’avais envie de lui dire que j’avais appelé ma mère: « Si ca peut te rassurer, c’est une femme qui va payer »

Louise continuait: parfois je regrette que la galanterie ait quasiment disparu de la Norvège, mais je préfère ça. Certains machos disent pour rigoler « ah elles ont voulu l’égalité. elles l’auront! Je leur donne raison, je paie ma part. »

Et puis Tor, mon père, il va trouver ça une mauvaise idée que je sorte avec un français. Vous avez la réputation de draguer tout ce qui bouge et de tromper vos partenaires.

« Ah ouais quand même »

J’ai tenté un : « Non mais je t’invite cette fois ci et tu m’invites la prochaine fois ».

Mais à la fin, on a fait moitié-moitié et en sortant, elle m’a dit : « je t’appelle demain et on pourra prendre un café chez moi. »

Le lendemain, le téléphone sonna. Et une dizaine d’années plus tard, naissaient nos deux enfants. La boucle de l’égalité Homme-Femme est bouclée. Je les garde en ce moment à la maison pendant qu’elle travaille.

Ils seraient aujourd’hui 1 million d’enfants dit Génération Erasmus.

Génération Tinder 1.0

 

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3 commentaires sur “Le jour où j’ai pas vraiment dragué Louise.

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  1. J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir

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