Y avait-il le feu au Lac Léman? La naissance épique de notre petite troisième.

Louise revient particulièrement sereine de sa séance d’acupuncture du matin : « Numéro 3 va sortir aujourd’hui tu vas voir! » Elle est persuadée que planter quelques aiguilles sur son coprs va accélérer la naissance prévue dans une semaine. Mais depuis quand l’acupuncture a-t-elle de telles vertues? Permets-moi une pointe de doute Louise. Rien chez toi n’indique l’urgence, tu as monté cette théorie des aiguilles en épingle!

Avant d’entammer ma journée de télétravail pleine de réunions skype sur les campagnes Marketing Nespresso, je vérifie simplement auprès d’elle : « Tu dis cela parce que tu veux ou parce que tu vas accoucher? » Pour chaque bébé, au neuvième mois, Louise est pressée d’en finir. Pour moi, curieusement, avec la perspective soudaine de ne plus vraiment dormir pendant un an, c’est un peu l’inverse. Et puis en Suisse, où nous avons déménagé fin 2019, je n’aurais pas 5 mois de congé paternité comme en Norvège. En 2020, c’est simplement un jour offert au papa. Moins de piquant à cette nouvelle paternité?

Louise sourit et m’explique qu’il ne sert à rien de disserter sur un évènement qui va se produire avec certitude aujourd’hui! « Va te connecter à tes meetings sur les lancements de ta gamme Ristretto! Et bois du café, faut rester éveiller, je te préviens quand ça arrive ! ». Mais quelle mouche la pique?

La matinée passe et me donne raison. Haha! Toujours aucun signe de son côté. Et si notre fille ne voulait pas sortir car elle n’a toujours pas de prénom? Voilà bientôt neuf mois que les discussions à table ressemblent à un dialogue franco-norvégien de sourd. Ce déjeuner qui s’approche ne fait pas exception:

  • « Gudrun? Trop norvégien
  • « Adèle? » Trop français.
  • « Thorbjørg? » Attend comment on prononce?
  • Manon? Mais non
  • On reste donc sur Numéro 3.
  • OK

Les couples binationaux se reconnaîtront.

Attention, selon le lieu de naissance, le temps pour officialiser un prénom diffère. Avec bientôt trois accouchements dans trois pays, nous sommes un couple expert en la matière. En Norvège, les parents ont six mois. En France 5 jours. En Suisse, faut se dépêcher, c’est trois jours. Le monde à l’envers?

« Tiens-toi prêt! » répète Louise, toujours aussi confiante en sortant du déjeuner. Elle a préparé son sac pour la maternité, photocopié et fait traduire les documents administratifs pour la déclaration du nouveau-né, enregistré dans le GPS les coordonnés du Centre Hospitalier Universitaire de Vaud. Elle a tout anticipé et me demande d’appeler ma cousine Charlotte pour la prévenir de venir ce soir s’occuper de numéro 1 et numéro 2. Piqûre de rappel!

Mais je ne l’écoute pas trop, déjà en retard à mon prochain meeting sur le plan de lancement d’une nouvelle capsule. Une édition limitée Lungo. Intensité 9. Pur Arabica. La réunion dure et Louise ne m’a pas interrompu. Triomphe de l’instinct paternel?

A 17 heures, les indices en ma faveur continuent. Le décor est bien trop calme pour suggérer une naissance. Le coucher de soleil illumine tranquillement les vignes des terrasses du Lavaux. Derrière le Lac Léman, quelques nuages cotonneux se mêlent aux Alpes majestueuses. La radio locale rappelle que la confédération helvétique a finalement décider d’allonger le congé paternité de un jour à deux semaines suite à une votation populaire. La mesure sera mise en place en 2021. Personne n’est pressé en Suisse (pas en France non plus) Louise n’a toujours pas perdu les eaux. Il n’ y aura définitvement pas le feu ce soir au Lac.

Photo : Suisse, canton de Vaud, Tour de Marsens, vignoble de Lavaux en terrasses, et le Lac Léman – UNESCO

« Isabelle? J’aime bien Isabelle comme prénom, non? »

« Déjà dit non 27 fois Tristan ». Louise s’exaspère, alors qu’elle est revenue avec Emile et Nora de l’école enfantine. Elle n’a pas jugé nécessaire de me demander d’aller les chercher, elle est bien trop en forme pour accoucher. Notre débat sur le prénom continue donc jusqu’à 18h30 avec Emile qui s’en mêle : « Alice? C’est joli Alice? La Suisse, c’est un peu le pays des merveilles non ? »

Quel poète! Il fait rire sa mêre. Le rire déclencheur?

Car soudain.

Oui, soudain, au moment de déguster un gruyère mi-doux, Louise, entre soulagement et excitation, s’exclamme : « Charlooootte!!! « 

« Charlotte ? T’es sûre? C’est pas dans notre shortlist! »

« Non, appelle ta cousine Charlotte maintenant !! Maintenant!!! ». Louise déclare avoir des contractions soudaines. Les aiguilles ont mis du temps à tourner. Mais à 18h30, l’horloge sonne fort! J’appelle Charlotte qui ne répond qu’au troisième essai mais qui arrive à notre appartement rapidement. Ouf! Elle reste s’occuper des aînés, la course contre la montre suisse démarre à 19h15! Merci Charlotte tu tombes à pic!

« Papa, ca veut dire quoi contraction? »

« Ca veut dire qu’on décolle » dit Louise en claquant la porte. « Skynd deg Tristan!!! » (Grouille toi en norvégien!) Je cours derrière elle, légèrement pris au dépourvu. Faux départ logique, je réalise avoir oublié les clés en arrivant devant la voiture .

« Et prend aussi ton masque!  » – accouchement covid en perspective! « Et aussi des pièces de monnaie pour payer le parc-mètre devant l’hôpital! « – accouchement d’une norvégienne en perspective. Louise pense à tout. Je cavale, je me mets un peu à transpirer là. Tout arrive trop subitement. J’aurais du l’écouter. L’aventure s’annonce… épique?

Assis au volant, je tente de créer une bonne ambiance :  » C’est bon, on peut y aller! En voiture Simone! ».

« Moi c’est Louise ».

Il va être sympa ce trajet.

« Eteins la radio et accélère!! C’est pas limité à 30 mais à 50! »

« Attend non freine j’ai une contraction. »

Faudrait savoir???

Je crois que je préférais le trajet du jour de la naissance de notre premier, Emile, à Paris. Nous nous étions déplacés à pied jusqu’à l’hôpital Trousseau. Entre deux immeubles haussmaniens et au milieu des marronniers, nous nous arrêtions sur chaque banc public dès que Louise en avait besoin, sous le regard amusé de certains passants. Pour la naissance de Nora, à Oslo, c’est le chauffeur de taxi qui jouait le role de pilote de Formule 1. J’étais chargé de faire des blagues. Une seule chose à la fois.

Il n’y a donc pas eu beaucoup de conversations pendant les 15 minutes de voiture. Simplement, lorsque je me gare devant l’hôpital, Louise, se tenant le ventre de douleur et courant aux portes de la maternité, me crie une dernière fois : « N’oublie pas de payer le parc-mètre ». Mais quelle mouche la pique?

A l’accueil, je prend l’initiative pour expliquer l’urgence: « Bonjour Madame, c’est pour un accouchement imminent ». Je pointe du doigt Louise qui, assise sur une chaise du hall d’entrée, fait quand même une drôle de tête. Son état n’inquiète pas la réceptionniste habituée à cette situation. « Monsieur vous pouvez remplir le fichier d’inscription pour Madame? ».

« Mais y a 8 pages, on peut pas faire ca plus tard? Regardez ma femme, elle est à l’agonie! »

« Alors vous avez eu des contractions répétées Madame? Toutes les 10 minutes ? 5 minutes ? »

« Toutes les 2 minutes ».

« Ah oui effectivement fallait le dire plus tôt » dit-elle en nous invitant à nous rendre au bout du couloir. « On remplira le dossier après la naissance. »

Il est donc 19h40 lorsque la sage-femme nous accueille dans la chambre de travail. Elle ne réalise peut-être pas tout de suite que l’accouchement est une histoire de minutes. Elle aussi prend son temps pour nous rappeler les règles sanitaires : « Monsieur, avec Covid, je regrette de le dire, mais vous ne resterez qu’une heure au maximum après la naissance. Pour vous c’est masque obligatoire tout du long. Pas pour vous madame ».

La sage-femme propose à Louise de se rendre rapidement aux toilettes. J’en profite pour lui demander discrètement si on peut prendre une amende pour l’histoire du parc-mètres. »Non c’est payant jusqu’à 20 heures. Ca devrait aller », dit-elle, se demandant ce qui cloche dans ce couple franco-norvégien. Elle m’indique que le service est calme ce soir, loin du record des 18 naissances lors d’une seule nuit le mois dernier. Louise va mettre de l’animation?

En observant une grande baignoire dans la chambre, je lui raconte qu’à Oslo, Louise a accouché dans l’eau mais elle me répond qu’ici « c’est juste pour la dilatation ». Pas négociable.

Chambre d’accouchement au CHUV de Lausanne

Louise interrompt la conversation en se dirigeant elle-même vers la table de travail,. Elle s’apprête à rentrer dans le livre des records du canton de Vaud, sous les encouragements et félicitations de la sage-femme qui n’a pas eu le temps de nous demander nos prénoms.

Après sa première poussée à 19h50, je demande : « Tu voulais pas une péridurale au fait ? ».

« Mais ca va être difficile Monsieur, on voit la tête de votre bébé. »

« Pas de piqûre donc, elle en a déjà eu ce matin! »

Votre femme travaille très bien! Et très vite!

En effet, il faudra simplement une deuxième poussée pour que numéro 3 naisse le 8 décembre 2020 à 19h58. 19h58.

« Madame, vous êtes une héroïne. Du jamais vu! Naissance en 8 minutes! Voici Bébé Espresso!  »

Bien trouvé!

Je coupe le cordon, Louise blottit notre fille contre sa poitrine et nous nous serrons dans les bras. La sage-femme, avec délicatesse, quitte les lieux quelques secondes pour me permettre d’ôter mon masque. Bébé fait monter les larmes de ses parents aussi rapidement qu’elle est née. Louise est déjà resplendissante, comment fait-elle? Je me rappelle qu’en Norvège, j’avais oté mon tee-shirt sous les conseils du personnel. Et je tente donc un « peau à peau » qui déplait fortement à bébé Espresso. Elle préfère le lait de sa maman. Capuccino!

20h30 approche et la sage-femme m’invite à rentrer à la maison après avoir complété le dossier et manipulé le bébé pour s’assurer de sa bonne santé. Tout est passé si vite. Je la remercie pour tout le travail accompli. Chaque naissance étant unique, qui plus est dans un contexte Covid, cela nécessite une grande adaptation pour le personnel de santé toujours aussi professionnel et attentif. Bravo!

Elle nous redemande le prénom. Je lui explique qu’à cause de l’acupuncteur, nous ne savons pas encore. Elle propose d’inscrire temporairement sur la fiche de naissance « fille ». Et c’est ainsi que de fille en aiguille, on s’accordera trois jours plus tard sur un des plus beaux prénoms qui soit.

Ella.

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