
Dans ma nouvelle école à Oslo, y a une nouvelle proviseure qui est arrivée. Je sais pas si c’est pour nous impressionner, mais elle a dit à nos parents qu’ avant de venir en Norvège, elle venait de passer trente ans dans un lycée militaire dans le sud de la France. On s’est regardé avec les copains du CE2, et on s’est dit que c’était bizarre car elle avait pas l’air si sévère. Et elle avait pas l’air vieille non plus a dit Victor. Ni très bronzée a dit Magnus, en rajoutant que le lycée militaire, c’est sur que c’était une stratégie pour nous faire peur. Même si on est tous grand car on a tous 8 ans, je crois que ça marche bien cette stratégie.
Magnus a dit qu’il faut qu’on se parle en norvégien pour pas qu’elle nous comprenne quand elle arrive. Mais Joachim était prêt à donner un coup de poing à tout le monde et a crié « n’importe quoi vos histoires » et puis après il s’est mis à parler de ses cartes Pokemon. Je suis nouveau dans la classe, mais j’ai déjà compris que, les cartes Pokemon, c’est son seul véritable sujet de conversation. Il en a des milliers dont une qui vaut 175€ car elle est super rare. Il veut la vendre pour s’en acheter des nouvelles. Mais je pense que cela sert à rien, car avec la nouvelle directrice, on n’a pas le droit d’en ramener. Les seules cartes qu’on peut avoir dans nos cartables, c’est les bons points de notre professeur si on se comporte bien. Papa était étonné que ça existe encore mais moi j’adore. J’en ai déjà eu trois et au bout de dix j’aurais une grande image. Comme Agnan dans le Petit Nicolas.
La rentrée pour Papa a l’air plus difficile. Il se perd dans les cartons de déménagement car on a trop d’affaires. Faut dire qu’on a passé trois ans en Suisse dans un grand appartement près du Lac Léman et là on est de retour à Oslo dans notre ancien chez-nous. Ah oui, et on est cinq, car entre temps y a ma petite soeur Ella qui est née. Elle a seulement un an et on l’appelle déjà Madame la Directrice. Elle est plus sévère que ma vraie directrice. Si on fait pas ce qu’elle veut, elle crie très fort, pleure et se roule par terre. Elle me dit où m’asseoir, me réveille le matin, me demande de lui lire des histoires. Donc on se tient tous à carreaux, car sinon les voisins pensent qu’on la maltraite. Papa dit que si en Suisse il avait eu un plus long congé paternité quand elle est née, elle l’écouterait davantage aujourd’hui. Papa parle toujours de congé paternité, c’est son truc.
D’ailleurs en arrivant à Oslo, il a eu une idée très bizarre. Il s’est mis à photographier tous les hommes en poussette dans notre quartier de Grunnerlokka. Il souriait et il disait, « regarde Emile ici, ça n’a pas changé, les hommes s’occupent toujours de leurs enfants! « . Ca lui avait manqué. Alors on a passé une après-midi à prendre des photos et il a dit que son prochain projet, c’est de faire une exposition de pères en congé paternité. Je crois que c’est pas terrible comme projet, mais je lui ai pas dit. L’important c’est qu’il m’ait promis une glace après notre promenade autour des poussettes.



Donc dans notre famille c’est un peu comme si on jouait au Monopoly et on retournait à la case départ avec une joueuse en plus qui pleure tout le temps. Surtout si elle lance pas les dés elle même. Papa répète souvent qu’on fait pas du neuf avec du vieux, mais c’est bien ce qu’on est tous en train de faire je crois.
J’entends souvent mes parents dans la cuisine : « on doit trouver notre nouvelle routine », « c’est toi ou c’est moi qui les amène demain? « , j’en ai déjà marre de faire leur matpakke ». Comme y a pas de cantine ici, c’est à eux de nous préparer des sandwiches. C’est le truc vraiment nul en Norvège, y a pas de cantine dans les écoles. Mais y a toujours Netflix à la maison donc ça va.
Maman s’adapte mieux. Normal, elle est norvégienne. Elle a retrouvé ses amies, sa famille, son métier de professeure d’allemand et d’histoire dans un collège d’Olso. Mais elle était pas là car elle avait un séminaire organisée par la directrice de son école. Mais pas n’importe où. Un séminaire de rentrée au Danemark à Copenhague. Elle a pris le gros bateau qui part du port d’Oslo avec tous ses collègues et on l’a pas vu pendant plusieurs jours. Elle allait faire du « timbilding » m’a dit papa. J’ai demandé : « est ce que tous les professeurs font du timbilding » et Papa a dit « en France non mais en Norvège oui ». Je sais pas trop ce que c’est le timbilding, je suis dans le groupe débutant en anglais à l’école, mais je crois que c’est bien et que c’est mieux d’être professeur en Norvège qu’en France.

Du coup, c’est papa qui s’est occupé de nous pendant plusieurs jours. Maman était pas là pour nous préparer les matpakke le matin et était inquiète, mais papa dit qu’il sait y faire. Mes soeurs Nora et Ella commencent le jardin d’enfants, on les dépose à 7h30 le matin et après on prend le tramway pour aller à mon école. Elles vont à mon ancienne barenhage, celle que je fréquentais quand j’étais petit. C’est la même directrice Lisa et c’est chouette car y a encore les mêmes adultes qui travaillent là bas : Amel et ses tatouages et Jonas et sa moustache d’Asterix. Papa dit qu’en norvège il y a plus d’hommes qui travaillent en crèche et que ça non plus ça n’a pas changé.
Ma soeur Nora ne parle pas encore très très bien le norvégien. Elle dit souvent que la Suisse lui manque, alors elle pleure quelquefois. Mais ca va vite aller mieux je suis sûr. L’autre soeur, Ella, pleure aussi mais elle ça compte pas car elle pleure tout le temps si on ne fait pas comme elle veut. Heureusement, même si on déménage souvent dans ma famille et que parfois ca nous chagrine, que moi je suis né à Paris, Nora à Oslo et Ella à Lausanne, on a toujours certains repères.
Dans tous les cas, le soir, notre papa il nous lit des histoires. Et c’est notre moment qu’on attend même si on est jamais vraiment d’accord sur le livre. On est allé à la bibiliothèque francaise d’Oslo Franskultuhuset pour en emprunter. Moi, mes histoires préférées, c’est celles du Petit Nicolas. J’adore quand Eudes donne des coups de poing à Clotaire et que le photographe s’éponge le front parce-que personne n’est sage pour la photo de classe. Papa nous a dit que Sempé, le dessinateur du Petit Nicolas, est mort y a quelques semaines. Alors ça nous a rendu tous un peu triste avec Nora, car on aime bien ses dessins. Mais il avait 90 ans et c’est beaucoup, donc papa a dit que c’est pas grave.
Que l’important des gens quand ils partent, c’est qu’on pense toujours à eux.
Que ce genre de personnes ne nous quittent jamais vraiment.
Qu’on peut toujours ouvrir les aventures du Petit Nicolas, voir ses dessins du directeur en colère, lever notre verre et dire « Sempé ».
Alors c’est ce qu’on a fait.

Génial, comme toujours !!! je me régale toujours à lire vos histoires. J’y retrouve un peu la vie de mon fils, marié à une norvégienne comme vous.
Merci. Et à la prochaine 🙂
M.Christine (mamie de deux petits-enfants franco-norvégiens)
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Merci du commentaire ! Un peu rouillé pour écrire mais ça revient petit à petit. Oslo m’avait manqué
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