02 Décembre 2017 – Action
01h00
La Lune est quasiment pleine. Louise, ma femme norvégienne, se réveille. On n’a pas encore quitté notre appartement. C’est notre deuxième enfant donc elle comprend que l’accouchement est imminent. Il faut faire vite. Très vite. Très Très vite.
Notre fille devait naître fin Novembre mais elle a pris son temps. Dommage, à Oslo, les enfants nés en Décembre ont beaucoup moins de chance d’avoir une place en crèche l’année qui suit. Je vais pas la disputer, l’Etat norvégien a pour politique de « garantir une place en crèche pour tous ». Ainsi, il dédommage les familles si elles n’ont pas de place à l’issu des 10 mois de congé parentaux. Une aide de 800€ par mois en guise d’excuse. Ma fille sera pardonnée.
01h05
Louise me réveille, il faut vite rejoindre la maternité. Malgré l’urgence de la situation elle conserve la fameuse « charge mentale » de l’organisation. Elle me demande d’appeler sa sœur qui habite à côté pour garder notre fils ainé qui dort. Je m’exécute. De rassembler nos affaires. Je m’exécute. D’appeler un taxi. Là je propose une alternative. Comme on habite à Grunerløkka, un quartier avec beaucoup de bars ouverts, je suggère de descendre et d’attraper directement un taxi dans la rue pour gagner du temps. Manifestement ce qui s’avérera être ma seule initiative de la soirée ne sera pas retenue. Louise me dit : « Trop risqué pour la situation. » J’avoue.
Du coup, j’appelle le taxi.
01h10
Pas de panique, mais faut vraiment se dépêcher là.
01h20
On descend, et pour une fois j’avais raison, il y a des taxis en bas qu’on pourrait prendre. Celui qu’on a commandé n’arrive que dans 9 minutes. Vu la situation, c’est peut-être mieux de prendre le premier taxi qu’on voit non ?
Mais Louise, comme les norvégiens, est attachée aux règles : « on a appelé un taxi, c’est celui-là qu’on prend ». C’est une attitude ici qui fait que le « système marche ». Peu importe les situations, leurs urgences, il faut suivre les règles. C’est comme ça que la société doit fonctionner. Les mentalités font un pays. Je lui dis toujours que la créativité commence là où la règle s’arrête. Elle me répond souvent que les français ont toujours une bonne raison d’enfreindre la règle. 1 partout balle au centre.
La quand même y avait une très grosse raison de prendre le premier taxi.
01h30
Le chauffeur finit par arriver. Il devait s’attendre à des jeunes changeant de soirée après avoir bu deux, trois coups. Il hérite d’un couple avec femme enceinte jusqu’au cou. Même risque pour sa banquette arrière.
Quand il nous voit, il n’a pas l’air rassuré. Moi non plus.
Je lui dis « Hôpital public d’Oslo ». Il avait l’air encore plus inquiet, comme si j‘avais confirmé son hypothèse de la banquette arrière. Je devinais son anxiété à la fréquence de nos regards qui se croisaient dans son rétroviseur. Ses yeux étaient davantage rivés sur Louise, assise à l’arrière, que sur la route. J’avais envie de lui dire « regarde devant, appuie sur le champignon et amène-nous vivant à l’hôpital ».
Louise poussait des respirations fortes. Moi aussi. Le chauffeur aussi. J’essayais de soutenir Louise le mieux possible, mais au final je sais pas si c’est moi qui lui tenais la main, ou elle la mienne.
1h35
J’ai eu un flash d’un de mes livres préférés, « Le Demi-Frère » du norvégien Lars Saabye Christensen, où la mère, Vera, accouche en 1946 de son premier fils dans un taxi à Oslo. Un chef d’œuvre de la littérature nordique qui voit la naissance de Fred au croisement des rues Kirkensveien et Ullevålsveien. La description de la scène est magique même si le taxi finit dans un état tragique. Evitons la tragédie chauffeur!
01h40
J’ouvre la fenêtre. Le chauffeur nous demande quelle alternative de route on préfère. Ça fait pas 10 minutes qu’on est parti ? Ce n’est pas un peu tard pour poser cette question ? Entre deux respirations, Louise sort un trajet censé lui donné l’inspiration. Merci Louise. C’est chose faite. On arrive bientôt à l’hôpital.
01h50
On sort du taxi. Le chauffeur regarde Louise et je m’attends à un bon courage mais il lui souhaite un légendaire « Bon rétablissement ».
02h00
On entre dans l’hôpital public d’Oslo et on court dans la chambre d’accouchement. Changement d’ambiance : le temps est comme suspendu. J’ai cru qu’on était dans un hôtel cinq étoiles. Il faudrait parler d’un loft d’accouchement, cet espace de 100 mètres carrés juste pour nous, avec un grand fauteuil, de grands lits, une salle de bain. Il n’y avait pas de minibars, mais au centre de la pièce, une énorme baignoire. Vraiment énorme. On aurait dit qu’un jacuzzi surgissait triomphalement, éclairée par la pleine Lune.
2h05
Je comprends que le jacuzzi n’est pas pour moi, c’est peut-être pour Louise.
2h06
La sage-femme demande : « Louise veux-tu essayer d’accoucher dans la baignoire, je sens que c’est pour toi. » Ce n’était pas prévu ça l’accouchement dans l’eau.
La baignoire ressemblait vraiment à un jacuzzi. Si j’avais été une femme, j’aurais dit oui direct. Louise dit oui.
2h10
Les deux sages-femmes qui s’occupent de nous sont adorables. Elles font un travail fantastique et communiquent très bien avec Louise mais me parlent également beaucoup. Je fais partie de l’expérience, beaucoup plus que pour mon premier fils à Trousseau. « Alors Tristan, c’est la plus belle chose de la vie qui va se passer dans 10 minutes ? Va falloir aider Louise ! ». On se connait depuis deux minutes et elles m’appellent par mon prénom pendant tout l’accouchement. A la norvégienne.
Vous venez de France ? Ça se passe comment les accouchements en France ?
Sans Jacuzzi.
2h15
L’amour des sages-femmes norvégiennes pour leur métier ajoute de la gaieté à la magie du moment. La pleine Lune apportait sa touche de poésie et de commentaires : « On a toujours plus de naissances les jours de pleine lune. C’est scientifique ». « Mais faut prendre des photos Tristan !! »
Du jacuzzi ?
2h20
Louise a été extraordinaire et les deux sages-femmes la félicitent. « Donne-moi ton téléphone portable, je vais prendre une photo de vous avec le pleine Lune en arrière-plan disait-elle ».
2h22
« Ma fille naît. »
Non. « Ma fille naît dans un jacuzzi. »
Non. « Après avoir évité la naissance dans un taxi, ma fille nait dans un jacuzzi »
Non. « Ma fille m’a rappelé la mentalité norvégienne le temps de sa naissance »
2h25
La sage-femme prend alors le bébé des bras de Louise et me dit: « Tristan, enlève ton tee-shirt et mets ta fille près de toi. Elle doit sentir la chaleur de ton corps ». Je m’exécute. J’ai fait que ça cette journée. Je profite et me rappelle que cette expérience est bien différente de celle de Paris.
09h00
Je vais chercher mon fils de 3 ans à la maison et l’amène à la maternité. On lui montre sa petite sœur et on lui demande : t’es content d’avoir une sœur ? Il l’enlace, sourit et répond :
« Oui, je peux en avoir une autre ? »
Tant qu’y a des jacuzzis
Toujour aussi bien écrit. T’as un vrai talent d’écrivain!
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Toujours aussi bien écrit. T’as un vrai talent d’écrivain!
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Merci ! Je vais continuer ! Mon congé paternité commence que le 17 mai. J’aurais encore plus de temps ! Hésite pas à venir me rendre visite à Oslo pendant cette période !! Hehe
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Quel talent ! Drôle et émouvant !
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Magnifiquement raconté ! Vous m’avez arraché une petite larme 😉
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Merci beaucoup! 😉
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Pour le prochain pense à prendre un maillot de bain!
Hilarant, touchant, je retrouve bien ton esprit affûté et rompu à l’autodérision. Un latin à Oslo… Tu dois leur paraître tellement exotique. Bises à très vite en normandie.
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Wahou trop chouette expérience ! Et bien raconté ☺️ ça m’a ému ! C’est vraiment bienveillant et positif comme approche de l’accouchement!
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