
Quand Markus a ramené son bébé au travail pour nous la présenter, on était tous ravi de le revoir et de faire connaissance avec sa fille. Markus avait commencé son congé paternité depuis quelques semaines et la tradition en Norvège veut que le père rende visite à ses collègues de temps en temps pour garder contact, changer d’air, se tenir informé des derniers changements, des derniers ragots.
Il y avait donc un petit comité autour de la machine à café :
-« Alors, comment s’appelle cette petite ? »
-« Elle s’appelle Åse ».
Åse est un prénom nordique qui signifie « montagne couverte d’arbres ».
Un A avec le rond au-dessus se prononce O.
Le E à la fin se prononce É.
Donc Åse se prononce Osé.
Oui oui, il a osé l’appeler comme ca.
-« C’est très joli » ont tous acquiescé les collègues.
Le prénom ne semblait donc choquer personne, pas plus que la gestation pour autrui (GPA) qu’avait rendu possible la naissance d’Åse. Markus avait épousé Halvor à l’église protestante d’Oslo il y a quelques années. Leur couple souhaitait devenir parents. Je ne sais pas s’ils avaient considéré l’adoption malgré les chances minimes de succès – et davantage pour les parents homosexuels – ou s’ils s’étaient directement dirigés vers une mère porteuse. Etait-ce si important ?
-« Elle est mignonne!! «
-« Elle a de belles joues! «
-« Elle fait ses nuits ? »
Tout le monde le félicitait, chaque collègue faisant attention aux questions qu’il posait, par pudeur et par bienveillance. Je voulais apporter une touche d’humour : « elle aurait pas les yeux de son père par hasard? » mais je n’ai pas osé. Ce n’était pas le moment de lancer un débat sur le caractère éthique de la GPA ni de lui poser des questions dessus. C’était un moment de bonheur autour de Markus.
Il aurait sans toute répondu à tout. Il avait ouvertement parlé de la décision qu’il avait avec son mari de faire appel à une femme porteuse aux Etats-Unis. Ils avaient préféré l’option américaine beaucoup mieux encadrée que d’autres pays. La GPA en Norvège comme en France est interdite, mais beaucoup de couples qui ont les moyens se rendent aux Etats-Unis ou au Canada où elle est autorisée. Le processus juridique qui suit rend légal la paternité des deux parents. Et c’est bien là le plus important. Markus était père aux yeux de la loi. Markus était père aux yeux de tous.
-« Alors, quels sont les derniers ragots ? » demande Markus.
J’avais envie de lui dire « bah, c’est toi le ragot » mais j’ai parlé d’une collègue qui était enceinte. Markus était en pleine forme, tout rayonnant avec sa fille blonde de 5 mois qui dormait paisiblement dans sa poussette suréquipée. Son mari avait repris le travail, il était donc seul à s’en occuper. Il semblait aussi bien organisé dans son job qu’en tant que père: le biberon rempli et prêt à l’emploi, Sophie la girafe dans la poche de côté, les couches et les serviettes humides de l’autre, les vêtements de rechange bien pliés au cas où.
On a finalement beaucoup parlé de couche et de culotte et personne n’a dit « oh il se débrouille très bien pour un papa homosexuel qui vient d’avoir un bébé ». Peut-être personne ne l’a pensé.
A part moi?
Je me suis vite aperçu que je n’allais pas trouver grand-chose de différent dans cette relation père fille. Je savais déjà qu’il n’y avait pas besoin de mère pour s’occuper très bien d’un bébé. Cela me semblait même injuste d’assister à ce spectacle aussi calme. Ma fille Nora avait passé son temps à hurler quand je l’avais présenté à mes collègues, et je me sentais parfois jugé par le fait que je n’arrivais pas à la calmer. Peut-être que si Åse avait été difficile, les opinions des uns et des autres auraient été différentes. Se sent-on davantage jugé quand on est parent homosexuel? Markus devait-il prouver quelquechose?
Autour de la machine à café, la réceptionniste intéressée par le gateau que l’on se partageait s’est joint au petit comité et a très rapidement mis les pieds dans le plat : « Et sinon, comment va la maman? ». On ne savait pas si Markus et Halvor avaient gardé contact avec la mère porteuse ni qui était le père biologique. On n’était pas rentré dans ces détails et tout cela relevait de la vie privée de Markus et c’était à lui de décider ce qu’il voulait partager.
Markus a expliqué qu’il avait fait appel à une mère porteuse, que l’accouchement s’était bien passé et que son mari était le papa biologique. La réceptionniste s’est excusée mais Markus a dit « il faut pas ». Finalement, la discussion était assez simple. On a tous souri.
« Voici un cadeau et des fleurs » pour toi Markus! Le département des ressources humaines avait toujours une attention pour les nouveaux parents. Notre directrice avait été très à l’écoute de Markus pendant cette période, lui permettant de prendre aussi des congés sans solde quand il en avait besoin. Markus était très reconnaissant de cette aide de l’entreprise. Et maintenant, il avait même droit à des marguerites!
C’est le bouquet?
C’est aussi le moment qu’a choisi Åse pour se réveiller : « montagne couverte d’arbre » est devenue « montagne couverte de fleurs ». Markus m’a proposé de la prendre dans mes bras. « Tiens Tristan, tu t’y connais en congé paternité ! ».
Je n’ai pas paniqué mais je sais pour avoir vu plusieurs documentaires qu’une GPA aux Etats-Unis peut coûter environ 150.000 €. Cela faisait beaucoup de responsabilité entre les mains d’un seul homme tout d’un coup.
Mais j’ai quand même osé.
Et Åse n’a pas pleuré.
En la berçant ainsi, la chatouillant et lui faisant des grimaces bizarres, elle a même souri. Et je me suis interrogé. Quel futur elle aura ? Si elle allait souffrir ou être heureuse, quelle personnalité, si elle rencontrera des fragilités ou qu’elle sera très forte. Que c’était stupide comme question, que ça dépendra de son entourage, de son environnement. De gens autour d’elle. De gens comme moi ?
Cela m’a ému. La sensation que dans certains pays des homosexuels sont condamnés à la peine de mort et que dans d’autres, ils ont la possibilité d’avoir une vie de famille presque comme les autres. Que je suis témoin de leur bonheur. Markus, Halvor et Åse, une famille chanceuse. Une famille heureuse. Une famille banale. Une famille comme une autre?
-« Mais au fait Markus, est ce que vous avez les mêmes droits que les autres parents en terme de congé parentaux ? »
Il m’a tout expliqué.
En Norvège, il n’y a pas un congé maternité d’un côté et paternité (ou second parent) de l’autre mais bien un congé parental à se répartir entre deux parents, peu importe leur genre. C’est exactement la même règle que pour les couples hétéro et lesbiens, à savoir celle des quotas : 3 mois pour l’un, 3 mois pour l’autre et 4 mois à se répartir comme on le souhaite. Les parents ne peuvent pas prendre leur congé en même temps, le congé est alterné.
– « Cela se fait finalement assez facilement. La seule chose compliquée est le moment de reconnaissance du père non biologique », a indiqué Markus. « Halvor était le papa biologique et avait pu être reconnu rapidement par l’ambassade de Norvège aux Etats-Unis. On avait donc rapidement posé son congé parental dans le système en tant que premier et unique parent. Pour le parent non biologique, le processus d’adoption et de reconnaissance prend quelques semaines. »
Le couple avait donc indiqué au système que Halvor prenait tout le congé parental et après la reconnaissance par l’Etat Norvégien de la paternité de Markus, ils ont pu modifier leur demande et rajouter Markus comme deuxième parent. Halvor a ainsi pris 4 mois de congés et Markus 6 mois. Ce n’était pas si automatique mais il n’a fallu que quelques emails à l’administration.
« L’important pour moi a été le soutien de mon entreprise pendant cette période d’incertitude et de stress. J’ai également pu poser des congés sans soldes pendant plusieurs mois pour pouvoir tout gérer ». La loi joue son rôle, mais l’environnement est clé.
L’Etat norvégien n’autorise pas la GPA mais mets tout en place pour faciliter l’homoparentalité. Hypocrisie ou pragmatisme ? Chacun jugera. Il me semble qu’en tous cas la société tend vers une réelle démarche inclusive.
Pour la France, il est important de rappeler que les droits en termes de congés restent discriminants. Les couples hétérosexuels et lesbiens ont droit aux congés maternité (4 mois) et second parent (1 mois) alors que pour les couples homosexuels, un seul des pères a droit au congé paternité (1mois).
Pour Markus, c’était finalement un congé paternité comme un autre : groupe de naissance, crèche ouverte avec sa fille, visite en PMI, cours de bébé nageur avec d’autre parents, changement de couches matins et soir, nuits agitées et cernes sous les paupières.
Et surtout balade avec Åse en poussette en Norvège.
Dans les montagnes couvertes d’arbres.
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